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Saint Laurent,Bertrand Bonello(2014)

Saint Laurent,Bertrand Bonello(2014)

Genre: Entre impossible retour proustien et mélancolie viscontienne

Alors que le Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert était le film du survivant, étalant une page Wikipedia pendant 2 heures, Bonello choisit de livrer sa vision du couturier en utilisant le prisme du cinéma. 

Le réalisateur s’attache à la période entre 1967 et 1976 où le couturier est à l’apogée de sa gloire et de sa haute couture. Il est difficile de trouver un point d’ancrage pour commenter cet anti-biopic.

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En effet, le film ne propose pas de réel progression dramatique mais plus des blocs de moment de vie, de solitude et d’onirisme…

Loin de la leçon scolaire savante, Bonello opte pour une vision fantasmagorique du créateur, la sienne, dans un univers corseté  où se confond caniveau et sublime ! 

Le long-métrage se compose de 3 mouvements bien distincts. Le premier qui ausculte les ateliers et le travail quotidien de la couture. Le second bascule dans la dépravation passionnée  avec la rencontre avec Jacques de Bascher pour finir sur un Saint Laurent vieillissant (joué par Helmut Beger).

Bonello construit son film comme une partition où les allers retours dans les boites de nuit, l’appartement de Bascher, les ateliers de Saint Laurent  échafaude un pouls interne au sein de l’oeuvre cinématographique. En tâtant ce tempo langoureux, le spleen se convoque et envahit l’ensemble de la vie et de l’univers du créateur. 

Saint Laurent est un homme hors de la réalité et même du temps comme en témoigne le split screen qui oppose les différentes collections de haute couture aux événements politiques de la fin des années 60 en France. Dans une scène où il conseille une bourgeoise endimanché et un peu gauche,Saint Laurent se voit à travers le miroir, le prisme et la magie du reflet en se disant être à la fois un monstre et être absent de lui-même.

A l’image de Helmut Berger (acteur fétiche de Viscontin) se voyant dans le film des Damnés, YSL est spectateur de sa propre vie, de son nom et de sa propre monstruosité (soumise et voulue). En effet, on y voit un homme vivre comme une star reclus parmi les siens, un enfant « gâtée » dont la vraie femme ne l’intéresse pas mais plus son idée de la Femme.  

Alors qu’il est marqué par la passion à travers un travelling de va et vient  entre lui et de Bascher, le dandy devient compulsif de drogues, de soirées dépravées où sa figure devient flou devant l’armée d’hommes qu’il croise dans un Paris nocturne digne d’une fin du monde. L’homosexualité plutôt crue est vue comme un miroir de la passion de YSL pour Bascher mais aussi comme un élément des idées morbides du couturier avec des mises en scènes sexuelles assez glauques dans les jardins du Luxembourg dans une capitale fin 19ème siècle où convoquerait  Sodome et Gomorrhe

L’écrivain français est un figure titulaire du film à travers le pseudo de Mr Swann, le tableau de la chambre à coucher et la construction du scénario qui tente de retrouver ce temps perdu , en tout cas de le posséder… Mais loin d’être une citation pour se faire mousser, elle est raccord avec  le portrait de saint Laurent comme un dandy, esthète atteint d’un certain spleen suranné, hors du temps et de diva! Elle est aussi l’expression du projet de Bonello retrouvé par des scènes parcellaires dans un canevas émotionnel et psychologique, une certaine vérité de l’identité  du personnage de Saint Laurent.

A l’instar de l’Appolonide, l’univers visuelle du film se construit sur des références littéraires, picturales et musicales pour parler à la fois d’une époque, de l’image d’un homme envers les autres et lui-même.Embrassant une virtuosité à la Casino, la musicalité du film passe de Velvet Underground à Bach comme un pont entre l’aspiration à la beauté pure et les mauvais génies morbides de Saint Laurent. Devant une telle subjectivité, le film nous plonge dans l’intimité rêvée et cauchemardesque d’un artiste dont la solitude n’est que la conséquence d’une vision bipolaire de la vie.

Le cinéaste montre comment le couturier devient une marque (sous l’impulsion de Bergé). Le nom de Saint Laurent se décline sur tout et n’importe quoi (parfum, sac..) tout en étant lui-même entouré d’objets accumulés. La dernière partie du long-métrage y montre un homme vieillissant, cloisonné par ses babioles dans des murs rouges d’albâtre se rappelant d’un passé révolue et qu’il n’a jamais quitté.Cette dernière demi-heure répond d’ailleurs au début du film et peut être vu comme un fil d’Ariane lancé par le créateur lui-même au spectateur. 

En resserant la chronologie de son film, Bonello nous fait vivre avant tout la fin d’un monde, celui construit pour et par Saint Laurent mais aussi la fin d’un siècle comme dans l’Apollonide. Il  explore aussi les dérèglements d’un artiste tout en interrogeant les siens et celle de son cinéma.

 L’image du cycle est inhérent au travail de Bonello revenant toujours dans les mêmes lieux mais à des moments différents de la décennie de Saint Laurent pour permettre de revenir vers une mélancolie crépusculaire  où tout semble dérisoire dans cette prison dorée. 

Dans cet univers ouaté, où la beauté est le seul intérêt du personnage principal, on y construit un mausolée mortifère, un étouffement mental où le retour proustien est impossible mais est convoqué par la magie du cinéma.

 

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