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Body Double

Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance),Alejandro Gonzalez Inarritu (2015)

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Genre: Que d’ego,Que d’ego…

 

Après le pesant Biutiful qui valut le prix d’interprétation masculine à Cannes pour Javier Bardem, Alejandro González Iñárritu revient avec Birdman. Annoncé comme un chef d’oeuvre depuis son passage à Venise, le film a fait la razzia sur les Oscars principaux en février dernier avec le prix du meilleur réalisateur et du meilleur film. Qu’en est-il réellement ?

 

Birdman suit les derniers jours de la préparation d’une adaptation théâtrale de la nouvelle « Parlez-moi d’amour » (What We Talk About When We Talk About Love)  de Raymond Carver se jouant à Broadway.

L’acteur « has been » Riggan Thomson (Michael Keaton) connu pour avoir incarné un célèbre super-héros au cinéma du nom de Birdman tente de revenir aux affaires en montant cette pièce tout en y interprétant le rôle principal. Pour se faire, il devra faire face à un acteur exigeant Mike Shiner (Edward Norton), à sa fille (Emma Stone) ex junkie, mais aussi et surtout à lui-même…

Le film a été très vendu sur le fameux faux plan-séquence qui le parcourt, modèle de virtuosité mais qui pouvait tourner à la  démonstration technique vaine. On pouvait le craindre avec Inarritu dont la subtilité n’est pas la plus grande qualité. 

Il n’en est rien…Le choix d’unir la narration au sein d’un même plan n’est que la résultante du projet du cinéaste. En effet, Birdman est littéralement un film-cerveau qui explore le labyrinthe de l’esprit névrotique et narcissique de Riggan. Car dans ce nouvel opus du réalisateur mexicain, il n’est question que d’Ego à la fois de son acteur principal et de sa troupe. On retrouve en parallèle le milieu de Broadway entre critiques qui s’écoutent parler, recherche de célébrité et de reconnaissance artistique et intellectuelle, et solitude existentielle.

Monstre d’égocentrisme, Riggan se focalise sur la montée de sa pièce inspirée de Carver comme solutions et causes de sa crise professionnelle et personnelle. Il espère qu’elle lui fera disparaître son mauvais génie, son « daimon » qui lui susurre à l’oreille d’abandonner ce projet et lui rappelle sa gloire passée. Car par moment, Riggan n’est ni plus ni moins que le super-héros qu’il a incarné comme un beau fantasme de lui-même.

C’est ainsi qu’Inarritu construit son film en jouant à la fois  sur les rapports entre les différents acteurs de la création de la pièce et Riggan, sa famille mais aussi son « Birdman » intérieur. Ces interconnexions, ces « allers-venus » sont liés dans un grand maillage par le plan-séquence qui unit à la fois les répétitions de la pièce mais aussi la vie dans les coulisses. La grande ambition du film n’est ni plus ni moins que de créer une valse étourdissante entre mensonge, vérité, théâtralité, vie intérieure, image de soi-même et celle que l’on donne aux autres dans ce théâtre qu’est la vie ! D’ailleurs, dès que l’on sort de la salle de spectacle, la rue grouille et on se dit vraiment que le monde est une scène où la frontière entre rêve et réalité est poreuse. 

On le note particulièrement lors de la première rencontre entre Norton et Keaton dont la caméra s’amuse par travelling arrière/avant interposé à croiser la part de jeu des acteurs et leurs vraies personnalités. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire de dire que les deux acteurs  sont éblouissants dans le film, jouant d’eux-mêmes mais trouvant toujours une complexité bienvenue dans le monde de marionnettes du réalisateur.

 

Devant tant d’éloges, que peut-on reprocher alors à  cette grande oeuvre? Tout simplement, le fait que ce n’en est pas une…

Dans sa première heure, le film pique à vif et se montre séduisant dans son dispositif permettant une mise en scène en raccord avec l’ambition de l’oeuvre. Mais très vite, Inarritu retombe dans ses travers et laisse son film en plein vol incapable de construire un vrai vertige de cinéma. Une fois de plus, le cinéaste mexicain abandonne l’image pour montrer un scénario et nous faire écouter des dialogues surlignés où toute image doit être accompagné d’un sous-texte voulu brillant. Ne sachant que faire du dispositif qu’il a mis en place, le film se referme sur lui-même et assène les mêmes figures de style jusqu’au final. 

Le plan séquence ne devient alors plus porteur d’une capacité de brasser un univers mais bien de tourner autour et de faire du sur-place. Par la fluidité de sa mise en scène, le film nous rappelle que le monde est un théâtre comme disait le dramaturge anglais, le cinéaste se sent obligé de faire déclamer la fin de Macbeth par un homme dans la rue avoisinante le théâtre comme une explication de texte. 

Dans une volonté de contrôle du spectateur, Inarritu évente les fantasmes que pouvaient provoquer les « drôles de facultés » de Riggan en déplumant  le Birdman en un simple gimmick. La visée cathartique de l’acte de Keaton sur la scène tombe comme un soufflet tellement celui-ci est annoncé à l’avance par les propos de l’acteur rappelant son épisode des méduses. Ce grand défilé d’acteurs névrotiques, caricaturés entre « actor’s studio » et « égo surdimensioné » qui était jouissive au début du film se retourne contre celui-ci en ne faisant jamais évoluer les personnages. On arrive alors à un propos éculé où les actrices sont toutes lesbiennes, où chacun se regarde jouer comme une version clownesque de lui-même. Heureusement pour nous, Keaton arrive par un jeu plus souterrain à maintenir un personnage consistant et s’éloignant du programme annoncé.

 

Le film refuse l’entre-deux et se doit de dicter le discours et la morale voulue par le réalisateur. Le spectateur devient donc prisonnier du logiciel idéologique de son auteur. On a donc droit à des critiques particulièrement insupportables, prônant plus une posture qu’une vision honnête de l’art. De la même façon, le cinéma de divertissement est dévalué face au théâtre même si cela correspond aussi à la vision de Riggan.  Le vertige et la recherche métaphysique de Keaton se conclue finalement au fait qu’il ne s’est pas assez occupé de sa femme et de sa fille. De cette fanfare émet une réponse de vie dès plus commune. Il faut des réponses à tout prix même si la question reste plus intéressante que la réponse. On s’approche alors d’un moralisme à la Nolan dans Interstellar mais aussi à la Gravity. Il est nécessaire d’examiner Birdman à l’orée de son ainé car il partage le même chef opérateur Emmanuel Lubezski et sont construit sur le même schéma où l’illusion des plans est le fil rouge de la dramaturgie. 

Mais là où on aurait envie de réévaluer le compatriote Cuaron, c’est qu’il fait le choix de ne pas mettre de sous texte explicatif à ses images. Gravity puisait sa force dans la viscéralité de sa situation et s’y tenait tellement que l’on pouvait espérer (par moment) une ébauche de vertige métaphysique sans que cela ne soit écrit ou souligné à chaque scène. Mais les deux oeuvres qui partagent une même grand ambition nous ramènent à un propos que tout blockbuster pourrait nous asséner de la même façon.

 

A se vouloir être trop profond, la ritournelle  en devient vaine et simpliste sans apporter d’émotion et sa fameuse catharsis salvatrice. Par essence, ce n’est pas surprenant que le film ait gagné tant d’Oscars tellement il reste dans la performance et joue à une caricature de questionnement sur le milieu du show-business. Le film reste en l’état une blague pesante dans sa deuxième partie. 

Mais remercions Inarritu de nous laisser un plan final plus ouvert permettant au film de respirer. De la même façon, les deux seules moments non montés comme un plan séquence au début et à la fin du film laisse entrevoir des fragments d’émotion qui aurait pu parcourir tout le film si Inarritu avait accepté de prendre des risques jusqu’au bout quitte à se perdre lui-même et son cinéma par la même occasion. 

Au fond, « rien n’est plus illusoire que ce monde interne que nous observons à l’aide de ce fameux sens interne » écrivait Nietzsche. Inarritu aurait du suivre cette maxime jusqu’au bout…

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