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Body Double

La loi du marché, Stéphane Brizé (2015)

067797

Genre: aliénation du quotidien

 

Présenté en compétition officielle au festival de Cannes, le nouveau film de Stéphane Brizé suit le parcours d’un chômeur dans la cinquantaine à la recherche d’un emploi, entre pôle emploi et vigile dans un supermarché.Il s’agit de la troisième collaboration de Vincent Lindon avec le cinéaste, après Mademoiselle Chambon et Quelques heures de Printemps.Le sujet du film pouvait faire craindre le pensum gauchisant mêlant misérabilisme de pacotille et larmoiement de façade. Il en est tout le contraire tellement Brizé choisit la voie de montrer plus que de démontrer le fonctionnement de notre société.

Cela se dénote déjà dans le choix des comédiens où Lindon (Thierry) est le seul professionnel. Tous les autres intervenants jouent leur rôle à la ville. Loin de vouloir pousser le réalisme jusqu’à son paroxysme, Brizé veut surtout confronter son personnage de cinéma à la vie quotidienne des gens dont il s’inspire. En ce sens, Lindon est excellent dans son travail de comédien et rend son personnage crédible dès la première scène. La scène de pôle emploi qui ouvre le film semble avoir été prise sur le vif. L’acteur trouve le ton juste, bête de dignité et homme à l’humilité simple, l’ex travailleur devient un archétype des personnes que l’on peut croiser dans la rue.

Il n’est point question d’un crescendo dramatique dans l’oeuvre de Brizé mais bien de blocs de scènes dont l’ensemble concourt à une analyse (sans jugement) des forces financières et humaines qui dictent nos vies quotidiennes.
La critique qui consiste à taxer le film de « documentaire faisant cinéma » n’a pas lieu d’être car le cinéaste s’évertue avec simplicité (sans être simpliste) à nous montrer ces grandes lignes de fond oubliées de tous.

 

A chaque séquence, Thierry semble subir une forme d’humiliation, de tentation au renoncement à ses principes de conduite. Il ne s’agit pas de pointer du doigt la banquière au tailleur impeccable ni le fonctionnaire de pôle emploi mais bien de démonter une mécanique qui isole chacun de ces personnages, en particulier son protagoniste principal. Ceci est très frappant dans l’échange à force de marchandage entre un acheteur de mobile home et Thierry où un « petit » semble vouloir faire cracher « un autre petit ». La loi du marché est avant tout celle du peuple à la fois celle qui la subit et la fait perdurer à travers des compromissions, dans le simple but de survivre.

La première partie nous montre surtout la recherche de travail de Thierry à travers des entretiens d’embauche par Skype qui se dévoilent comme des mises à l’épreuve perpétuelles de notre homme du quotidien. Ironie du sort, il travaille pour permettre à son propre fils de trouver du travail comme une reproduction sans fin d’un dispositif frelaté mais pour lequel il n’y a rien d’autre à proposer.

 

La seconde partie voit Thierry avoir enfin obtenu le précieux sésame de boulot d’agent de sécurité de supermarché mais où le job consiste aussi à surveiller ses collègues…De la même façon, Brizé pose sa caméra avec discrétion et capte des moments de vie de cette communauté entre interrogatoire des collègues et fête de départ à la retraite comme un cycle sans fin.

Toujours dans une économie de jeu, Lindon semble se fondre dans un décor dans lequel il est aussi anonyme que ces autres personnages cantonnés à leur simple fonction. Entouré de flou, il reste un roc de dignité, d’humilité dans lequel l’esprit de révolution semble être absent mais une droiture reste à l’appel. Ecartant le tract de gauche ou socialiste, Brizé nous fait croiser des hommes et des femmes qui veulent seulement vivre chacun avec ses joies et ses difficultés sans autre arrière pensée.

 

Avec une mise en scène fluide, simple et directe, le réalisateur va au coeur de son sujet et n’en dévie pas. En effet, il ne cherche pas à faire larmoyer sur le statut du fils de Thierry ou des relations avec sa femme. Au contraire, ces séquences familiales semble être les seuls où Lindon n’est pas mis sur la sellette ou humilié par autrui.

L’absence de dramaturgie et le manque d’effusion des sentiments généra sans doute l’empathie du spectateur. Mais elle est en fait le ressort principal d’une réelle confusion des sentiments quand sonne le final du film. On a bien l’impression d’avoir vu à travers notre fenêtre, notre monde du quotidien fait de compromis, d’échecs, de renoncements pour perpétrer la loi du marché. Le geste final de Thierry sonne à la fois comme un acte de courage mais aussi de désespoir face à un monde qui n’est pas fait pour lui et sa droiture mal placée.

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